Crédit photo : Stéphane Grollier
Le 24 janvier a été proclamée par les Nations Unies Journée Internationale de l’Éducation. Pas de quoi pour autant célébrer cette journée au vu de la situation critique, voire dramatique, dans laquelle se trouve aujourd’hui l’éducation dans le monde. La faute à la pandémie de la covid-19, mais pas seulement.
A l’aube du 21ème siècle, après des décennies de mobilisation, il eut été raisonnable et logique de voir le droit à l’éducation pour tous s’universaliser. En 2021, davantage d’enfants, filles et garçons, auraient dû aller à l’école, suivre a minima 12 années d’éducation gratuite, maîtriser les savoirs essentiels, s’enrichir de compétences sociales et professionnelles afin de devenir des citoyens actifs, responsables et résilients face aux crises qui se multiplient. Alors, oui, des progrès majeurs ont été accomplis depuis les années 2000, mais l’objectif d’une éducation de qualité pour toutes et tous reste, pour l’heure, utopique.
Une crise mondiale de l’éducation et des apprentissages
La pandémie de la COVID-19 qui s’est abattue sur le monde a exacerbé une crise mondiale de l’éducation et des apprentissages qui grondaient déjà depuis plusieurs années. Fin 2019, le tableau n’était déjà guère optimiste avec une stagnation du nombre d’enfants non scolarisés à 258 millions, avec près d’1 enfant sur 6 incapable de lire une simple phrase même après plusieurs années passées sur les bancs de l’école, avec des dépenses publiques mondiales allouées à l’éducation loin des minimas recommandés par les Nations Unies pour envisager une quelconque progression.
La COVID-19, facteur d’aggravation
Fin 2020, après au bas mot des semaines voire des mois de fermetures d’écoles et de confinement dans la presque quasi-totalité des pays, après une crise sanitaire devenue en quelques semaines une catastrophe mondiale et multi-sectorielle, rien d’étonnant à ce que la situation de l’éducation dans le monde ne se soit encore détériorée. Les impacts de la crise sanitaire sur l’éducation ont été féroces sur le court et moyen-terme et les conséquences risquent de perdurer pendant des décennies : pendant ces mois de confinement, plus de 500 millions d’enfants ont été privés de toute possibilité d’étudier, faute d’aide, de matériels ou d’accès aux plateformes d’apprentissage à distance. Rien qu’en France, le Conseil National de la Productivité estime à 14% la perte de compétences des élèves suite aux six semaines de confinement et insiste sur les répercussions à long-terme que cette perte aura sur l’économie française. Dans beaucoup d’autres pays, le pourcentage des pertes d’apprentissages sera clairement plus élevé. On estime aujourd’hui que 24 millions d’enfants ne retourneront probablement pas à l’école après ces fermetures, et le nombre est appelé à être révisé à la hausse. A cela s’ajoute une crise économique mondiale qui risque d’entraîner pendant des années une baisse drastique des budgets alloués à l’éducation tant au niveau national qu’international.
L’objectif d’une éducation garantie à tous s’éloigne
La Banque Mondiale estime que la pandémie va accroître d’un tiers le déficit de financement, déjà de 148 millions de dollars avant la crise, qui était nécessaire pour réaliser d’ici à 2030 une éducation de qualité pour tous. L’objectif qui semblait déjà compromis avant la COVID-19, semble aujourd’hui utopique, mettant ainsi en péril l’avenir de générations entières privées de savoirs et des compétences essentielles pour s’insérer dans et s’adapter à un monde en constante évolution. A moins bien sûr que des mesures et des financements d’une ampleur inédite soient enfin alloués à l’éducation. Les pays en développement, suite à la crise économique, n’auront pas forcément les moyens d’allouer davantage de fonds à l’éducation. Les grands pays donateurs, pourvoyeurs de l’aide au développement, auront sans aucun doute face à cette crise un rôle essentiel à jouer et pourront, s’ils respectent leurs engagements initiaux (allouer 0.7% du PIB à l’aide au développement), faciliter la reconstruction d’un système éducatif inclusif, qualitatif et résilient, capable de faire face à tous types de crises quand elles se présenteront.
2021, une année riche en promesses ?
L’année 2021 y est propice avec la tenue de grands évènements où l’éducation sera forcément à l’ordre du jour : le sommet du G7 organisé cette année par le Royaume-Uni qui a déjà annoncé sa volonté de faire de l’éducation une priorité, le Forum Génération Egalité dédié à l’autonomisation des filles et à la lutte contre les inégalités de genre qui devait se dérouler en France en 2020 et a été repoussé, enfin les deux conférences de refinancements de deux organisations internationales majeures (Partenariat Mondial pour l’Education et Education Cannot Wait) qui appuient l’amélioration ou à la reconstruction de système éducatifs dans les pays en développement et les situations de crise. Les occasions de prendre des mesures ou d’investir fortement dans l’éducation ne manqueront pas, mais les acteurs internationaux seront-ils à la hauteur ?
Beaucoup de paroles mais peu d’engagements
Certes, tous ou presque ont affirmé leur volonté de prioriser l’éducation mais force est de reconnaître que tous les pays, même les plus développés, ont subi de plein fouet la crise et ont du faire face à des dépenses massives imprévues. Il est fort à parier que certains risquent de privilégier d’autres secteurs que l’éducation et de diminuer leurs engagements pour l’aide au développement. La France, via son projet de loi de solidarité et de développement présenté_ avec beaucoup de retard_ en décembre dernier en conseil des ministres, semble sous-estimer la gravité de la crise : la pandémie est certes mentionnée mais aucun nouveau moyen n’est mobilisé pour soutenir les pays en développement face à ses conséquence, l’action humanitaire est à peine mentionnée, enfin le projet de loi ne présente que les engagements de la France avant la fin du quinquennat mais ne définit aucune trajectoire budgétaire pour atteindre les 0.7% du RNB français d’ici à 2025. En ce qui concerne l’éducation, le projet de loi réaffirme certes son importance et son impact positif sur le développement durable, mais ne donne aucune visibilité sur les engagements à venir de la France. Pour autant sans investissement majeur, rapide et collectif, il ne fait plus aucun doute que des millions d’enfants resteront à jamais exclus de l’éducation et verront leur avenir sacrifié.