#FemmesInspirantes : Diariatou Diallo, militante pour les droits des femmes en Guinée

Découvrez le parcours inspirant de Diariatou Diallo, salariée chez Action Education mais avant tout, militante pour les droits des femmes en Guinée. Aujourd’hui, Diariatou occupe le poste d’Accompagnatrice des Dynamiques territoriales dans les communes de Mali et Fougou dans la région de Labé.


Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?

« Je m’appelle Diariatou Diallo, guinéenne j’ai 32 ans, je suis diplômée en droit des affaires et en journalisme. Je travaille à Action Education depuis 4 ans et actuellement, je suis Acompagnatrice des dynamiques territoriales dans les communes de Mali et Fougou dans la région de Labé. »  

Diariatou Diallo, militante pour les droits des femmes en Guinée

Parle-nous de ta rencontre, dans ton parcours de vie, avec les droits des femmes en Guinée ?

« Dans ma famille, on voulait me donner en mariage à un de mes cousins pour garantir l’héritage à ma mère. Pour la petite histoire, je suis issue d’une famille polygame et ma maman n’a eu que des filles et généralement, les filles n’ont presque pas d’héritage – réservé aux garçons. Puisque mon cousin est de la famille, me marier à ce dernier devait permettre à ma mère de bénéficier de l’héritage après le décès de mon père.  

J’ai décidé de refuser de me marier très jeune, car j’avais entre 13 et 14 ans, et cela m’a mise face à une opposition et une pression de toute la famille. Parce que c’est quelque chose qui n’était pas bien vu, ma sœur ainée a été victime d’un mariage précoce et forcé et dans d’autres familles proches aussi, c’était une pratique normalisée par la société. Donc, la famille estimait qu’il n’y avait aucune raison que je refuse ce mariage arrangé. Cela a été ma première confrontation avec la question des droits des femmes.

Tout de suite,  je n’avais pas conscience de ce que c’était, mais à partir de ce moment là j’ai décidé que j’allais me battre pour mon épanouissement et permettre à ma mère de vivre dignement même si on allait la faire sortir de la maison familiale. »

Qu’est-ce qui a été le déclic pour toi ? Pour te dire « voilà un sujet sur lequel je dois agir » ?

« Le déclic est venu un peu plus tard, j’avais déjà commencé à m’engager dans des organisations de jeunesse agissant sur des questions de citoyenneté et d’engagement communautaire.

Juste après l’université quand j’ai eu mon premier emploi, ça n’a pas été facile pour moi étant fille et en même temps, la plus jeune de la boîte dans laquelle je travaillais. J’ai été confrontée à des avances de certains collègues qui ont fini en harcèlement. J’ai subi une pression morale, du harcèlement et des injustices qui finalement m’ont poussé à démissionner.  

Et c’est là que j’ai décidé de me battre pour faire respecter mes droits et ceux d’autres filles et femmes. 

Donc les situations que j’ai vécues dans mon enfance (refus du mariage forcé qui a abouti à une stigmatisation et un désengagement de la plupart des membres de ma famille à mon égard) et ces violences que j’ai subies au début de ma carrière professionnelle m’ont poussé à m’engager dans la défense des droits des femmes. »

Quels sont les obstacles auxquels tu as dû, ou tu dois encore, faire face ?

« C’est plutôt des obstacles d’ordre social car dans notre société, malgré quelques avancées, ce n’est pas bien vu qu’une femme soit intellectuelle et qu’elle travaille normalement comme toute personne ordinaire. Alors qu’elle devrait avoir comme priorité de se marier et faire des enfants et que c’est son mari qui doit la prendre en charge.

Aujourd’hui, moi, en tant que femme intellectuelle avec un emploi qui me permet de me prendre en charge, mais célibataire j’apparais au sein de ma famille comme une personne qui fait le contraire de la norme sociale. On me considère comme étant celle qui ose défendre les droits des femmes, qui ose défier la parole d’un homme, qui ose dénoncer quand vous n’êtes pas d’accord. Donc vous êtes considérée comme une rebelle, ce sont des choses qui même quand on les assume sont difficiles à supporter à des moments.

Dans la société, on rencontre des personnes qui ont reçu une éducation avec la domination du patriarcat qui pensent qu’une femme doit être soumise, elle ne doit pas hausser le ton, elle ne doit pas prendre la parole dans certains contextes, c’est pourquoi au sein de la société aussi, on subit la même pression.

Dans le milieu professionnel également, quand vous faites une compétition avec des hommes et que vous décrochez l’emploi, on vous étiquette comme étant favorisée parce que vous êtes une femme et c’est la prise en compte du genre qui a value, on a du mal à reconnaitre le mérite des femmes devant les hommes. Il y a des moments où on a du mal à reconnaitre et accepter le mérite, mais on pense qu’on vous favorise parce que vous êtes une femme. Toutes ces considérations, les femmes sont amenées à les combattre au quotidien, soit en famille, soit dans le milieu professionnel ou dans la société en général. »  

Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, est-il célébré, d’une façon ou d’une autre en Guinée et en Afrique ?

« Le 8 mars est bien entendu célébrée en Guinée et en Afrique, c’est un engagement politique. Ce qui est important c’est qu’au-delà des célébrations festives, aujourd’hui, il y a des organisations de défense des droits des femmes qui profitent de cette journée pour faire le bilan sur cette question et qui interpellent l’Etat sur les cas de violations des droits des femmes et leur autonomisation. Donc une célébration douce qui glorifie la femme, mais aussi un moment de dénonciations du non-respect des droits des femmes, de plaidoyer pour le respect des engagements internationaux. »  

Est-ce que l’approche par les droits permet de faire évoluer les mentalités ? Comment ?

« L’approche par les droits est une bonne manière de faire comprendre aux filles et femmes qu’elles ont des droits. Mais c’est aussi une bonne méthode pour faire comprendre aux filles et femmes qu’elles ont le pouvoir d’agir. C’est une approche qui permet de prendre conscience de ce dont vous avez droit et de comment agir pour le réclamer. C’est une approche que les organisations utilisent aujourd’hui, par exemple, Action Education, sur les questions de scolarisation de filles et d’autonomisation des filles et femmes, passe par cette approche, qui permet de prendre conscience d’une situation donnée et comment agir pour la changer.

Par exemple, on ne vient pas dire obligatoirement à un parent de scolariser sa fille, mais on explique les droits de toute fille et les avantages qu’elle a si elle a accès à ses droits. Et le parent après prend conscience de ce dont son enfant a besoin. Elle facilite aussi le plaidoyer envers les débiteurs d’obligations (pouvoirs publics notamment) en s’appuyant sur le droit pour influencer. »

Selon toi, quelles sont les principales luttes pour les femmes en Guinée pour les années à venir ? L’éducation est-elle un enjeu actuel pour les filles en Guinée ?

« Avec un taux d’analphabétisme global de 68%, 56,4% pour les hommes et 78% pour les femmes, le besoin d’éducation au niveau de la population en Guinée se présente comme un défi majeur surtout en zone rurale. 

Selon l’annuaire statistique Annuaire statistique Enseignement Primaire (2020-2021) de la Guinée, le taux net de scolarisation des filles est de 65,9% et celui d’achèvement du primaire est de 33,2 %. Ce signifie que sur 3 filles inscrites au CP1, une seule a la chance d’atteindre le CM2. Toujours selon les statistiques du Ministère en charge de l’Education, en 2021, environ 1 fille sur 10 accède au lycée (10,8%). Ce qui démontre, aujourd’hui, que l’enjeu actuel de l’éducation des filles dépasse leur inscription, c’est plutôt leur maintien. »

Penses-tu que l’alphabétisation et l’éducation soient des facteurs clés de l’autonomisation des femmes en Guinée et en Afrique ? Explique-nous ton point de vue.

« Oui, je pense que l’alphabétisation et l’éducation sont des facteurs clés de l’autonomisation des femmes. L’éducation permet aux femmes de se former, de se renforcer, de pouvoir prendre des décisions.

Si je prends l’exemple Femmes et arbres à palabre 2.0, un micro-projet réalisé par Action Education dans le cadre de l’expérimentation du numérique dans le renforcement des compétences des femmes, le fait de créer des contenus numériques dans leur langue maternelle a permis à ces femmes de s’organiser et de se constituer en groupement maraicher, d’améliorer leurs compétences, de mieux gérer leur revenu et leur relation, d’avoir un contact avec les autorités locales, de prendre la parole en public alors qu’auparavant, même si on abordait les questions qui concernent ces femmes, elles se faisaient représenter par un homme. 

C’est un élément essentiel qui permet aux femmes de s’épanouir que ça soit en famille avec le suivi de la scolarité des enfants, que ça soit dans la gestion des activités quotidiennes, dans les relations ou partenariat avec les autres.

Si je prends mon exemple aujourd’hui, si on me considère comme une femme autonome, c’est parce que j’ai eu la chance d’être scolarisée et de terminer les études. Et je pense que c’est la même chose aujourd’hui pour toute femme scolarisée ou alphabétisée. »

Si tu as des filles, comment vois-tu leur avenir en Guinée ? Ou à l’étranger ? Sont-elles fières d’avoir une mère militante et engagée pour l’éducation des filles ?

« Je vois mes filles dans une société où la femme a sa place, où la femme a son mot à dire, où les droits des femmes sont respectés, je vois mes filles qui vont aller à l’école, qui vont se battre, qui vont être devant, qui ne vont pas être pointées par les autres comme si elles ont été favorisées parce que ce sont des filles, je vois mes filles qui vont oser marcher dans la société sans qu’elles ne soient, harcelées, violentées, étiquetées.

Je vois mes filles qui vont avoir un boulot et vont mériter ce boulot-là, qui vont travailler dignement et qui ne vont pas subir ou vivre l’interprétation de tous leurs efforts comme du favoritisme. Je vois mes filles épanouies et dans une société plus juste. Je vois mes filles qui vont poursuivre le combat pour le respect des droits des femmes. 

J’espère que si j’ai des filles, elles seront fières de mon combat pour la défense des droits. Quand elles prendront conscience de toutes les luttes faites pour qu’elles arrivent à vivre dans un monde plus juste, je pense qu’elles seront fières de toutes celles et tous ceux qui ont contribué à ce que cela soit une réalité. »

Quels sont les projets en faveur des droits des filles et des femmes sur lesquels tu travailles actuellement ? Comment y contribues-tu ? Quelle est ton action au quotidien en faveur de ces femmes ?

« Au quotidien, à Action Education, la plupart de nos actions vont en faveur de l’éducation des filles et de l’autonomisation des femmes. Les projets que nous développons en Guinée permettent aux filles et femmes d’être scolarisées, de s’insérer dans la vie socio-professionnelle, de faciliter leur expression etc.

En plus de mon travail, je suis engagée dans des organisations de la société civile guinéenne, notamment Les Amazones de la Presse Guinéenne où nous faisons du coaching pour des jeunes filles pour leur permettre de prendre conscience du parcours des femmes qu’elles estiment être des modèles pour elles, mais aussi de s’épanouir elles-mêmes.

Nous faisons aussi des campagnes de sensibilisation et nous saisissons aussi les espaces que nous offrent les réseaux sociaux pour la déconstruction des préjugés, la motivation des filles à poursuivre leurs études et le renforcement de leur pouvoir d’agir. 

J’ai aussi créé un espace intitulé Le Club 4H Avec l’Humain. Le club est un espace de lecture, d’échanges, de réseautage et de partage d’idées entre des jeunes sur toutes les questions qui touchent ceux-ci, assis à même le sol sur des nattes ou des draps. Il se réunit une fois par mois et fait la promotion de la lecture et les causeries éducatives. Dans cet espace, on fait aussi le coaching des filles, en les accompagnant pour prendre la parole en public mais aussi pour renforcer leurs connaissances sur les droits. C’est aussi un cadre qui permet d’échanger sur des cas de violences dont sont victimes certaines filles et de les référencer.

Il y a 3 ans de cela, j’ai parrainé 3 filles de mon village dont les parents n’avaient pas les moyens. Et grâce à ce parrainage, ces filles sont aujourd’hui au collège et elles poursuivent leurs études. »

Penses-tu que les femmes des pays occidentaux puissent contribuer à faire avancer les droits des femmes en Guinée et en Afrique ? Comment ?

« Bien entendu que les femmes occidentales peuvent contribuer pour la lutte pour les droits des femmes en Guinée ou en Afrique. Mais je pense aujourd’hui que c’est une lutte pour chaque société. Chaque société a son histoire, chaque société a ses pratiques, son propre vécu. Donc pour moi, il est important pour chaque société de partir de son vécu, de partir des préjugés qui existent pour mener ce combat pour le respect des droits des femmes.

Bien entendu, il y a des choses qui sont transversales ou qui sont communes à tous les pays du monde, il y a des démarches qui peuvent s’appliquer à n’importe quel contexte, donc elles peuvent contribuer à travers des débats, des démarches, des outils, des partages d’expériences.

Le combat, aujourd’hui, pour moi, il est individuel avant d’être collectif. C’est-à-dire que chaque jeune fille doit d’abord faire ce combat à son niveau. On pourra aboutir à ce combat collectif. Il faut faire un combat collectif aujourd’hui pour amener cette prise de conscience individuelle.

Présentement, je vois, en Guinée, pas mal de jeunes filles qui sont engagées dans le respect des droits des femmes, qui sont des féministes et qui s’assument. Et je vois aussi des femmes qui se sont affirmées dans le respect des droits des femmes, qui sont des femmes modèles. Pour moi, cette lutte au-delà de certains aspects spécifiques à un pays, à une société, ce combat, il reste commun, il est universel. C’est un combat qui dépasse les frontières et dans lequel toutes les femmes, peu importe leur provenance, leur religion, leur catégorie sociale, leur appartenance politique, doivent porter. »

 

YouTube video

Sur le même thème :

Les projets liés :

fr_FR